La conseillère en voyage Ariane Arpin-Delorme, de l'agence Esprit d'Aventure, nous partage son histoire en lien avec les turbulences qu'elle a rencontrées depuis le début de la crise de la COVID-19 dans le cadre de notre série spéciale «Histoires de COVID-19: sur la ligne de front».
TravelPulse Québec est fière de soutenir l'industrie du voyage en offrant aux conseillers une tribune afin qu'ils puissent s'exprimer et échanger entre eux en ces moments particulièrement difficiles.
Les agents intéressés à participer à notre série peuvent nous faire parvenir leurs histoires et photos à canada@travelpulse.com. Nous espérons que l'histoire d'aujourd'hui vous plaira. Bonne lecture!
DIFFICILE DE METTRE DES MOTS SUR CE QUE NOTRE INDUSTRIE VIT
Propos recueillis par : Catherine Maisonneuve
Histoire et récit: Ariane Arpin-Delorme
Malgré que j'aie raconté en bref à mon entourage ce que je vis depuis le début de la crise de la covid-19 en tant que propriétaire d'une agence et conseillère en voyages et ce, à quelques reprises, j'ai finalement eu du mal à le mettre sur
papier.
Même avec toutes les meilleures intentions de la part de mes amis et famille de prendre souvent des nouvelles, je ne pense pas qu'ils soient vraiment en mesure de comprendre l'ampleur de ce que je vis ainsi que notre belle industrie du
voyage depuis que la pandémie a explosé. Mais vous, collègues, vous comprendrez.
D'une part, j'ai l'impression qu'il s'est passé une foule d'événements depuis les quatre derniers mois et d'un autre côté, que presque tout est resté en suspens. Il n'a jamais été aussi important de faire preuve de calme, patience et de lâcher-prise, moi qui suis plutôt une entrepreneure très déterminée et persévérante et qui «pousse» peut-être même un peu trop pour que les choses aboutissent.
J'avoue avoir eu l'idée de laisser tout tomber à quelques reprises, me sentant complètement impuissante.
Notre industrie fut l'une des premières touchées par la crise. Et je suis quelque peu en désaccord à dire que «nous sommes tous dans le même bateau». Oui, nous sommes tous dans la même tempête, mais ça ne va pas bien aller pour tout le monde. Je reste bien sûr des plus empathiques avec la tragédie que le reste du monde vit et suis reconnaissante de vivre au Québec, recevant certaines ressources.
MON DERNIER VOYAGE
Accompagnée de mon amie journaliste Sarah-Émilie Nault, je suis partie en voyage de presse du 7 au 14 mars. Toutefois, avant notre départ, la conjoncture était quand même différente. Nous n'aurions jamais pris la décision de voyager une semaine plus tard. Tout a déboulé si vite! Heureusement, nous sommes revenues avant que les vols commencent à être annulés. Le vol de retour fut particulièrement long, masqué et ganté, mais il fallait ce qu'il fallait. Nous avons aussi pris la décision de nous mettre en quatorzaine ensemble dès notre retour, avant même que ça devienne obligatoire. Deux semaines plus tard, je retournais chez moi, confinée dans mon sous-sol la grande majorité des mois d'avril et mai, à travailler sans cesse.
J'ai beaucoup écrit pendant cette période, d'ailleurs, si ça vous intéresse, voici mes articles à ce sujet :
- De la quarantaine au confinement: Comment je le vis: Partie 1 & 2
TRAVERSER LA TEMPÊTE
J'ai fondé ma 2e agence de voyages sur mesure , Esprit d'Aventures, il y a de ça 8 ans déjà. Mon conjoint Mike, co-actionnaire, s'est joint à l'agence il y a plusieurs années. Nous sommes une douzaine de conseillers en voyages et
collaborateurs réguliers. Comme la plupart des conseillers travaillent majoritairement de la maison, à l'exception de Mike et moi, la transition en télé-travail fut facile à faire.
Dès février, nous devions essayer de rassurer les voyageurs sans trop savoir quoi leur dire et les suppliant d'être patients et d'attendre de voir comment les choses évolueraient. Heureusement, la grande majorité d'entre eux, dont plusieurs sont réguliers, ont été des plus compréhensifs, et le sont toujours. J'ose espérer qu'ils ont senti que nous étions présents, même si nous n'avions pas toutes les réponses. Personne n'a expérimenté ce genre de situation
auparavant!
Mais dès le 12 mars, nous nous sommes surtout concentrés à essayer de rapatrier nos clients et même d'autres voyageurs, n'ayant pas réservé leur vol via nos services. Quel casse-tête avec lequel jongler se fut quand toutes les compagnies aériennes (nous travaillons surtout via des consolidateurs de vol), compagnies d'assurance et autres fournisseurs ont changé - et même encore aujourd'hui - leurs conditions générales. Et déjà que ce n'est particulièrement pas facile de collaborer avec les compagnies aériennes, c'est aussi frustrant de réaliser que certaines semblent profiter du malheur des autres.
Nous avons essayé de réduire le plus possible nos dépenses, surtout au niveau de la promotion et du marketing web. Merci à nos collaborateurs, de vrais amis, qui ont accepté de nous accommoder, malgré les défis qu'ils vivaient aussi de leur côté. Nous avons aussi la chance de ne pas avoir pignon sur rue, donc de bénéficier de frais de local un peu moindre.
Comme nous sommes spécialisés dans l'organisation du voyage sur mesure en privé avec guide et chauffeur, de mini-groupes thématiques (gourmand, safari en Afrique et observation de la faune, randonnée et photo) ainsi que par notre offre de service de consultation pour voyageurs plus indépendants, nous travaillons surtout directement avec des agences réceptives sur place. Par le fait même, nous prenons aussi de plus gros risques. Nous ne travaillons que très rarement avec des grossistes/intermédiaires. Nous connaissons tous personnellement tous les fournisseurs avec qui nous travaillons et offrons que des destinations où nous avons vécu et voyagé intensément. C'est une chance d'avoir développé des relations si privilégiées avec de nombreux partenaires en direct afin d'obtenir l'information de première main et aussi pouvoir négocier avec plus de flexibilité quant aux conditions de report des voyages (par exemple en essayant d'offrir le même tarif en 2021). Plusieurs d'entre eux se sont recyclés en offrant leurs services au tourisme local, du moins en attendant de recevoir à nouveau les voyageurs internationaux. Ce qui nous rassure aussi beaucoup! On croise les doigts pour la suite!
Drôlement ce ne sont pas nos voyageurs qui ont perdu leur travail qui ont manqué de compréhension. Et nous aurions compris leur inquiétude de faire pression pour se faire rembourser. Mais plutôt d'autres voyageurs mécontents,
qui semblaient pourtant être très bien assurés et retraités qui n'ont nullement accepté que nous ne soyons pas en mesure de leur rembourser leur portion terrestre, comme les paiements aux fournisseurs avaient déjà été faits au
complet et ne nous étaient bien sûr pas remboursable. Ajoutant au stress immense de la situation, nous avons donc dû gérer quelques mises en demeure de la part de clients et de devoir gérer des échanges sans fin avec des avocats,
qui bien sûr ne comprennent nullement la réalité de l'industrie du voyage au Québec. Nous avons dû utiliser des les services d'un avocat, heureusement spécialisé en voyage. Mais que de nuits blanches!
GESTION DU STRESS
Nous continuons à travailler sans aucun revenu et nouvelle réservation depuis les quatre derniers mois, et sûrement pour encore un long moment, soit jusqu'aux prochains départs de clients en 2021. Nous essayons d'être le plus
présent possible pour rassurer nos voyageurs qui s'apprêtent à peut-être partir à l'automne et vers la fin de l'année et de ne surtout pas laisser tomber personne. J'aurais aimé avoir su être encore plus rassurante auprès de nos voyageurs ainsi qu'auprès de mes collègues. Mais pour une rare fois, je n'ai juste pas beaucoup
de réponses à leur donner pour le futur, étant dans l'incertitude. J'ai également écrit là-dessus...
LAISSÉ DANS L'OUBLI
J'ai souvent l'impression que notre industrie est oubliée par les aides gouvernementales. Mais merci à l'ACTA et à l'AAVQ de lutter pour faire valoir nos droits auprès des instances supérieures. Les conseillers de l'agence - travailleurs autonomes à commission - ont eu le droit à la PCU depuis le début. À voir ce qui en adviendra dans 2 mois! Mais
malheureusement, l'agence n'a pu bénéficier d'aucune subvention salariale et d'aucun prêt pour des formalités. C'est quelque peu difficile de rester pro-actif quand aucune aide financière ne suit, comme si personne ne croyait en nous.
J'ai monté tout un dossier détaillé afin d'espérer pouvoir bénéficier du programme PACME et profiter de formations en marketing web et autre pour devenir davantage indépendant à l'agence et poursuivre nous-mêmes notre promotion et publicité pour laquelle nous ne sommes plus en mesure d'investir autant à l'externe. Mais la même journée que l'on me confirmait que ma demande était acceptée, on m'annonçait aussi que le budget de 100 ou 150 millions avait été épuisé en l'espace d'un mois seulement! Et les prometteurs collectifs ayant été acceptés au programme ne concernent aucunement l'industrie du tourisme, à l'exception du CQRHT. Quel dommage comme ces formations auraient bien aidé à relancer l'agence et à garder le moral des troupes!
OFFRIR LE CANADA
Nous pensions depuis longtemps essayer de proposer le Québec, offrant déjà d'autres provinces canadiennes, surtout pour nos voyageurs européens. Mais devenir une agence réceptive dans sa propre province est une tout autre histoire au niveau assistance, logistique, systèmes de réservation, assurance responsabilité, etc..
Depuis le début de la crise, nous avons sérieusement analysé l'alternative de proposer le Québec à notre clientèle québécoise. Chapeau à certains de nos compétiteurs qui ont pris ce virage (et qui n'offraient pas le Québec avant la
crise).
Mais la réalité est que notre clientèle est assez indépendante et nous doutons qu'elle pense à utiliser nos services ou les services d'une agence de voyages pour réserver leurs périples au Québec.
D'autres éléments extérieurs sont aussi entrés en ligne de compte dans notre prise de décision. Cependant, nous avons décidé de miser sur notre grande expérience sur le terrain en Colombie-Britannique et en Alberta (ainsi qu'au Yukon et au Manitoba - mais à venir comme les provinces sont encore fermées) pour encourager notre clientèle à utiliser nos services afin de leur proposer des itinéraires hors des sentiers battus, leur suggérer de petits bijoux d'endroits ainsi que leur fournir des contacts privilégiés qu'ils ne retrouveraient pas nécessairement par eux-mêmes.
En plus de continuer à prendre les appels, nous restons en communication avec nos voyageurs par infolettre et via notre page Facebook. Nous leur envoyons aussi l'un de nos livres : Voir les animaux du monde - 50 itinéraires de rêve, publié chez Ulysse, car il faut bien continuer de s'inspirer et de rêver!
PORTER DE MULTIPLES CHAPEAUX
Je porte personnellement plusieurs chapeaux. En plus d'avoir enseigné le tourisme au collégial et d'avoir fondé l'agence et d'y travailler encore comme conseillère en voyage, je suis aussi auteure, chroniqueuse pour plusieurs
magazines et blogues ainsi que conférencière. Comme pour la plupart de mes collègues, la crise de la covid-19 a emporté avec elle la grande majorité de mes contrats. Mais les débuts de la crise m'ont quand même permis d'écrire
régulièrement sur la covid-19 et le confinement pour divers magazines. Il faut savoir se renouveler, mais ce n'est pas évident comme plusieurs articles sont maintenant écrits à l'interne. Je continue d'écrire ici et là et de participer à
plusieurs balados et entrevues vidéo afin de faire rayonner l'agence.
AU FUTUR
Nous n'aurons pas le choix de devoir changer nos habitudes de consommation et de mieux voyager. La planète crie depuis trop longtemps. Et elle nous a prouvé les derniers mois qu'elle n'avait pas besoin de nous, mais nous d'elle. J'espère que la crise aura amené au moins ce point positif, même si ce n'est que le seul. Je pense tout de même que les gens vont encore avoir envie de voyager. Je pense entre autres à mes voyageurs qui rêvent de ce fameux voyage d'une vie - ce safari photo en Afrique depuis leur enfance ou ce voyage gourmand pour un anniversaire significatif. Notre chance est peut-être qu'ils souhaiteront le faire en privé sur mesure, dans leur propre voiture ou avec leur chauffeur privé, soit notre spécialité depuis toujours chez Esprit d'Aventure (sans rien enlever aux autres
formules!).
MON SOUHAIT
J'espère aussi que les voyageurs vont encore plus réaliser la nécessité de faire affaire avec une agence de voyages afin de profiter de leur expertise et d'une assistance en cas de problème à destination. Et non, on ne s'improvise pas
conseillers en voyage, juste parce que l'on sait réserver son propre vol sur Internet…
Je vous lève mon chapeau mes chers collègues de l'industrie! Ce n'est pas la première fois que notre industrie vit des situations tragiques - pas comme celle-ci bien sûr - mais ensemble, nous arriverons à passer au travers!
Moi, qui suis une fan de voile, j'essaie de me répéter régulièrement qu'il faut «Garder le Cap» ou «Changer de Cap», c'est selon!
Ariane Arpin-Delorme,
Esprit d'Aventure
www.esprit-daventure.com
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